Cette flambée du soufre est complètement folle. Sur le marché spot du port de Zhenjiang, les prix ont directement grimpé à plus de 4100 RMB/tonne, soit plus d’une fois et demie le prix du début d’année. Même les cotations FOB au Qatar ont atteint 495 dollars — alors qu’à la même période l’an dernier, c’était à peine 160. Certains plaisantent en disant que ce n’est plus du soufre, c’est de “l’or jaune”.

Mais blague à part, il y a une logique très solide derrière cette envolée.

**Commençons par l’effondrement de l’offre**

Le soufre est fondamentalement un sous-produit des raffineries de pétrole. Or, la capacité mondiale de raffinage est déjà en déclin (selon les prévisions, de 82,6 millions de barils/jour en 2024 à 80,5 millions en 2050) ; rien qu’en Chine, la production de novembre a encore chuté de 5% par rapport au mois précédent, à un peu plus de 1,01 million de tonnes. Pire encore, la géopolitique s’en mêle : la Russie pourrait couper 1 million de tonnes d’exportations au quatrième trimestre 2024, ce qui ferait grimper la dépendance à l’importation de la Chine de 42% à 50%.

**Du côté de la demande, c’est la surenchère**

La production traditionnelle d’engrais phosphatés consomme déjà plus de la moitié du soufre disponible, une demande incompressible. Mais l’énergie nouvelle explose : sur les trois premiers trimestres, la production de LFP (phosphate de fer lithié) a atteint 2,66 millions de tonnes, et devrait dépasser 3,6 millions sur l’année, ce qui consomme à lui seul 1,06 million de tonnes de soufre supplémentaires. Pour les batteries solides, c’est encore plus frappant : le coût du sulfure de lithium représente 82% de la matière première. La capacité de 658 000 tonnes de MHP prévue en Indonésie pour 2026 devrait engloutir 6,58 millions de tonnes supplémentaires. La demande mondiale atteint déjà 82 millions de tonnes et pourrait grimper à 85 millions d'ici l’an prochain, alors que l’offre ne suit pas.

**Qui tire son épingle du jeu dans cette envolée ?**

Ceux qui détiennent des mines se frottent les mains. Sinopec et PetroChina, avec respectivement 8,34 millions et 3,68 millions de tonnes de capacité, voient la flambée du soufre se transformer en vache à lait. Rongsheng, Hengli et autres raffineurs privés prennent aussi leur part du gâteau. Les groupes miniers de pyrite comme Yuegui (1,11 milliard de tonnes de réserves) et Liuguo Chemical (actionnaire principal avec 1,71 milliard de tonnes) sont également à la fête, la pyrite pouvant remplacer le soufre pour la fabrication d’acide sulfurique.

Les groupes intégrés s’en sortent aussi bien. Yuntianhua verrouille ses prix grâce à des contrats long terme (prix d’achat moyen sur les trois premiers trimestres : 1975 RMB/tonne, bien en dessous du marché) ; Chuanheng possède sa propre capacité de production d’acide à partir de soufre, ce qui lui permet de maîtriser ses coûts.

Pour les petites usines d’engrais phosphatés, en revanche, c’est la galère. Sans ressources propres, les coûts de matières premières explosent. En octobre, le taux d’utilisation des unités DAP a chuté à vue d’œil, et certains sites ont carrément arrêté la production.

**Jusqu’où peut aller ce marché haussier ?**

Selon Longzhong, le déséquilibre devrait durer au moins jusqu’au premier trimestre de l’an prochain, avec un potentiel haussier à court terme. Mais deux points d’inflexion sont à surveiller :

1. 2 millions de tonnes de capacité supplémentaire au Moyen-Orient prévues pour 2026 ;
2. Le retour possible de l’offre russe au premier semestre 2026.

À ce moment-là, tout dépendra de la solidité des acteurs. Ce “taureau du soufre” est le fruit du croisement entre le déclin des énergies traditionnelles et l’explosion du secteur des nouvelles énergies : les groupes dotés de ressources voient leurs profits décoller, ceux sans avantages compétitifs seront éliminés. Quand la vague se retirera, il ne restera que les survivants aguerris, capables de traverser les cycles.